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Combien de gens sont contagieux COVID autour de moi ?
Texte mis à jour le 2020-11-19
Quel est le risque de rencontrer une personne contagieuse dans la rue ou en réunion ? Voici un calcul basé sur le nombre d'entrées en réanimation qui estime le nombre de gens infectieux autour de vous.
Dans la rue, en réunion, en classe, ou dans un magasin, il vous est sûrement arrivé de vous demander combien de personnes infectieuses COVID étaient autour de vous. Malheureusement, on ne peut le savoir en observant les gens car beaucoup de contagieux n’ont pas de symptômes. De plus, ce nombre change d’un jour à l’autre et selon la région.
Pourquoi une estimation basée sur le taux d’incidence est-elle insatisfaisante ?
Une estimation simple du risque de rencontrer une personne contagieuse utilise le taux d’incidence. Par définition, ce taux est la proportion de nouvelles personnes positives dans une population à un moment donné. Voir la question Quel est le risque de croiser une personne COVID dans un groupe, connaissant le taux d’incidence ?. Or, ce taux, qui est souvent publié sur les sites officiels, est estimé à partir du nombre de tests positifs, qui dépend directement du nombre de personnes testées. Il est donc très sensible aux conditions qui conduisent les gens à se faire tester ou non. Par exemple, en France en mars et avril 2020, très peu de gens ont été testés, et la courbe d’incidence a très peu monté alors que le nombre de personnes hospitalisées augmentait beaucoup. En France, le dépistage a beaucoup augmenté de début août à fin octobre 2020, et le taux d’incidence pareillement. La première semaine de novembre 2020, les deux taux ont baissé simultanément (données SI-DEP). Enfin, chaque fois que s’ouvre un nouveau centre de tests dans une ville, le taux d’incidence augmente.
Nous avons décidé d’estimer le nombre de contagieux à partir du nombre d’entrées en réanimation, qui ne dépend pas de la politique de test. En suivant notre raisonnement, vous pourrez vous familiariser avec les estimations épidémiologiques et comprendre pourquoi chaque estimation a ses limites.
Que donne notre estimateur ?
Nous estimons que début novembre 2020, à Toulouse on croisait 2 passants infectés sur mille, et 5 à Lyon. Mille personnes : ça correspond au nombre de passants en une heure dans une rue fréquentée, aux passagers d’une rame de métro pleine, ou aux élèves d’un gros collège. La probabilité que, dans un groupe de 25 personnes, l’une au moins soit infectée, était de 5% à Toulouse, et 12% à Lyon. Attention, nos estimations ne sont pas parfaites : ce sont des ordres de grandeur (voir le paragraphe “limites” en bas de page). Pour voir l’estimation aujourd’hui, cliquez pour ouvrir le tableau montrant le nombre de gens infectieux à Paris, Marseille, Lyon et Toulouse, dans la rue et en réunion. Ce tableau est actualisé tous les jours. Un autre tableau, basé aussi sur les entrées en Réa, donne chaque jour le nombre de personnes infectées sur 1000 passants dans la rue pour 30 départements: Trente villes de France, classées par densité de contagieux
Comment estimer le nombre de porteurs de la COVID-19 ?
Faire une estimation est un peu comme faire un gâteau : pour qu’il soit bon, il faut de bons ingrédients et une bonne recette. Les ingrédients sont ici les données et les paramètres du modèle. Les données changent tous les jours et selon la région, et elles doivent être actualisées. Les paramètres sont liés au virus et à la maladie : on les trouve dans des articles scientifiques et ils ne changent pas beaucoup. La recette est la façon de combiner ces données et ces paramètres, par des formules mathématiques, dans une feuille de calcul (un tableur) qui affiche directement les résultats attendus. C’est le gâteau que nous partageons en ligne.
Voici déjà la liste des ingrédients : données et paramètres
- Le nombre d’entrées en réanimation (Réa) publié en France regroupe tous les services de soins critiques (Réanimation au sens strict + soins intensifs + soins continus). C’est une donnée fiable tant que ces unités ne sont pas saturées, indépendante du nombre de tests PCR effectués, et disponible pour chaque département français sur Réa-GéoDES. De nombreux pays publient aussi ces données, rassemblées sur OurWorldInData (en anglais, ICU data pour Intensive Care Units, Unités de Soins Intensifs).
- La taille de la population est aussi une donnée. C’est le nombre d’habitants de la ville, la région ou du pays considéré, que l’on trouve sur les sites officiels (INSEE pour la France).
- Le nombre de jours entre les premiers symptômes et l’entrée en Réa est égal à sept, d’après une méta-analyse internationale de Grasselli, JAMA, mais plus récemment une étude française observe un délai de huit jours (COVID-ICU, Intensive Care Medicine).
- Létalité : Pour passer des données de Réa au nombre de personnes infectées on passe par le nombre de décès. La proportion de létalité des patients en Réa est 42% au niveau mondial, d’après Armstrong, Anaesthesia. Une étude plus récente des Unités de Soins Intensifs en France, Belgique et Suisse (COVID-ICU, Intensive Care Medicine) montre que la proportion de létalité en Réa a baissé et est de 31% en moyenne. Ce paramètre peut changer en fonction des critères d’admission en Réa et de la qualité des soins. La proportion de létalité des personnes infectées (Infection Fatality Rade en anglais) varie entre 0,37 et 0,75% selon les études sérieuses (voir question Quel est le risque de mourir de la COVID-19 pour une personne infectée ?), nous l’estimons à 0,5% en France d’après Salje, Science. Cette proportion dépend beaucoup de la pyramide des âges d’après Levin, medRxiv, et il doit donc être adapté si nécessaire au pays considéré.
- Durée de contagiosité : Un malade est contagieux entre 7 et 21 jours, mais la durée moyenne est 7 jours après les premiers symptômes, soit 9 jours en tout puisque la contagion commence deux jours avant les symptômes. On retrouve de l’ARN viral plus longtemps dans les prélèvements nasopharyngés, mais il n’est plus infectieux d’après Wölfel, Nature.
- Asymptomatiques : 42,5% des personnes infectées sont asymptomatique d’après Lavezzo, Nature dans l’enquête exhaustive d’une commune italienne par test PCR. Une enquête faite en Juin 2020 auprès des ménages anglais trouve 76,5% d’asymptomatiques (Petersen, Clin. Epidemiol.). Nous utilisons donc ici la moyenne des deux, 60%. Les personnes asymptomatiques sont les seules que l’on risque de croiser, car les malades sont confinés chez eux ou à l’hôpital.
Voici maintenant la recette pour combiner ces ingrédients : étapes du calcul
- Partons du nombre d’entrées en Réa hier, publié aujourd’hui. La courbe des entrées en Réa présente des oscillations liées aux week-end (nombres plus petits le dimanche). Pour les amortir, au lieu d’utiliser les entrées quotidiennes, nous utilisons leur moyenne glissante sur 7 jours.
- Ceux qui entrent en Réa ont présenté les symptômes de la COVID huit jours plus tôt en moyenne, et ils ont commencé à être contagieux 2 j avant les symptômes, soit 10 j avant la Réa. On peut donc déduire des entrées en Réa d’hier combien de gens sont devenus contagieux il y a 11 jours.
- Pour passer du nombre d’entrées en Réa au nombre de nouveaux contagieux, on utilise les taux de létalité. Multiplions le nombre de patients en Réa par leur létalité (31%), ce qui donne le nombre de décès. Divisons ce nombre de décès par la létalité des personnes infectées (0,5%), pour obtenir une estimation du nombre de personnes infectées.
- Chaque malade reste infectieux pendant 9 jours environ : nous faisons donc la somme des nouveaux contagieux sur neuf jours pour connaître le nombre de personnes contagieuses, la prévalence, le neuvième jour.
- Ces calculs nous donnent le nombre de contagieux il y a onze jours. Comment faire pour connaître ce nombre aujourd’hui ? Nous supposons que ce nombre va continuer à évoluer comme il évoluait depuis une semaine. Nous extrapolons donc de onze jours vers le futur la courbe exponentielle ajustée aux données sur les 7 septs derniers jours connus, car la contagion est exponentielle.
- Divisons ensuite ce nombre de personnes infectées par la taille de la population du département ou de la région, pour avoir le taux d’infection en pourcentage. On considère donc ici que les nouveaux patients en Réa viennent tous du département, ce qui n’est pas toujours le cas.
- Enfin, dans la rue, ce ne sont pas les malades que l’on croise, car ils restent confinés chez eux ou sont soignés à l’hôpital. On croise les personnes asymptomatiques : certaines ne sont pas encore malades mais sont déjà contagieuses, d’autres n’auront jamais de symptômes. On multiplie donc le nombre de personnes infectieuses par le pourcentage d’asymptomatiques, pour estimer combien de contagieux on risque de croiser.
Pour ceux qui préfèrent les équations, voir le Calculateur ci-dessous, et le texte à droite des résultats sur Porteurs de coronavirus à Paris, Lyon, Marseille, Toulouse et France.
Faites le calcul pour VOTRE ville ou votre pays !
Vous pouvez estimer vous-même le nombre de gens infectés dans votre ville, région ou pays aujourd’hui, si vous disposez des données d’entrée en Réa depuis deux semaines. Il suffit de les entrer, ainsi que la taille de la population, dans le Calculateur ci-dessous (données pour la France: Réa-GéoDES ; pour d’autres pays : OurWorldInData). C’est assez long comme travail, car il faut noter les entrées en Réa sur 15 jours dans ce tableau interactif, pour calculer la régression. Et n’oubliez pas de mettre la taille de population ! Ce calculateur vous permet aussi de changer les valeurs des paramètres, si vous voulez tester comment cela change les résultats. Cliquez pour voir ce CALCULATEUR Covid (lecture uniquement. Pour l’utiliser, le copier ou le télécharger).
- Si vous avez un compte Google, copiez ce calculateur dans votre drive avec COPY
- Sinon, ouvrez le calculateur et puis, en haut à gauche de la page, cliquez “Fichier” puis “Télécharger” pour le récupérer sur votre disque dur en format Excel ou OpenDocument
Quelles sont les limites de cet estimateur ?
Cet estimateur n’est pas un modèle sophistiqué comme ceux des épidémiologistes qui conseillent les gouvernements en projetant l’évolution de l’épidémie sur plusieurs semaines : il répond simplement à une question simple, pour le jour même du calcul. Voici quelques-unes de ses limites.
- Cet estimateur prend en compte de nombreux paramètres. Si ces paramètres sont mal estimés dans les publications scientifiques, l’estimation finale sera faussée. Par exemple, si le vrai taux de létalité des infectés était 0,4% au lieu de 0,5% (utilisé ici), le nombre de contagieux serait sous-estimé de 20%.
- Une autre limite est que le taux de létalité varie selon l’âge et le pays considéré. Pendant l’été, ce sont surtout les jeunes qui ont été contaminés, et cela a pu diminuer le taux de létalité réel. Voir la question La prise en charge des malades atteints de la COVID-19 s’est-elle améliorée ?
- Une autre limite est la validité des données d’entrée en Réa. La réanimation n’est pas forcément comptabilisée de la même façon selon les pays. Il y a la réanimation au sens strict du terme, réservée aux patients qui ont des défaillances vitales multiples, les soins intensifs destinés à ceux qui ont une seule défaillance et la surveillance continue de ceux qui ont un risque de défaillance vitale (en France les trois cas sont regroupés dans la valeur Réa). En France, toutes les personnes hospitalisées sont soumises à un test SARS-CoV-2 et elles sont comptabilisées dans la Réa même si elles sont allées à l’hôpital pour une autre raison que la COVID-19. Cela peut conduire à une légère surestimation de la valeur Réa.
- Enfin le nombre de contagieux est extrapolé sur onze jours par rapport aux données. Si la courbe d’extrapolation était mal estimée, cela conduirait à des erreurs importantes sur le nombre de contagieux dans la rue. Cette extrapolation est un point faible du modèle, surtout quand il y a très peu d’entrées en Réa : dans un petit département, ou si l’épidémie est quasiment jugulée, sur une courbe de pente presque nulle, l’apparition d’un cluster de contagion serait modélisé par une exponentielle à croissance très rapide, alors que, s’il est identifié et bien suivi, il sera vite jugulé.
Ce calcul présente également les limites détaillées dans la question Quel est le risque de croiser une personne COVID dans un groupe, connaissant le taux d’incidence ?.
En conclusion, les calculs présentés ici permettent de se faire une idée approximative du nombre de personnes contagieuses autour de nous. Il ne faut pas prendre ce nombre comme une valeur exacte, mais plutôt comme un ordre de grandeur. La version originale de ce modèle est présentée sur le site de ses auteurs, Florence & Denis Corpet: Combien de contagieux dans ma ville ?
Sources
Une étude de cohorte multicentriques sur des hôpitaux de France, Belgique et Suisse a suivi plus de 4000 patients admis en unité de soins intensifs entre fin février et début mai 2020. La mortalité (évaluée à 90 j) des patients de Réa a baissé régulièrement de 42 à 25% pendant cette période (Table S5), avec un taux de létalité moyen de 31%. Le délai moyen entre les premiers symptômes et l’entrée en Réa est de huit jours dans cette étude, pour les patients finalement décédés du COVID-19 (Table 1, line 13, coL4).
COVID-ICU group, for the REVA network and the COVID-ICU investigators. (2020) Clinical Characteristics and Day-90 Outcomes of 4,244 critically ill adults with COVID-19: a prospective cohort study.. Intensive Care Medicine DOI: 10.1007/s00134-020-06294-xCette étude italienne de grande ampleur évalue les facteurs de risque de mortalité des patients en unité de soins intensifs en Lombardie. Nous l’avons utilisée essentiellement pour savoir qu’il y a sept jours entre les premiers symptômes d’une personne qui va mourir de Covid-19 et l’entrée en réanimation (Table 3, line 16, col.3, de l’article).
Grasselli, G., Greco, M., Zanella, A., Albano, G., Antonelli, M., Bellani, G., ... & Cattaneo, S. (2020). Risk factors associated with mortality among patients with COVID-19 in intensive care units in Lombardy, Italy. JAMA internal medicine, 180(10), 1345-1355.Dans une revue et méta-analyse de 24 études d’observation, les auteurs anglais suivent le devenir des patients des services de réanimation (unité de soins intensifs) d’Asie, d’Europe et d’Amérique du Nord. Nous avons utilisé le pourcentage de mortalité des patients des services de réanimation européens, 48,44% sur sept études (Fig.3 de l’article), alors qu’au niveau mondial il est de 41,65%.
Armstrong, R. A., Kane, A. D., & Cook, T. M. (2020). Outcomes from intensive care in patients with COVID‐19: a systematic review and meta‐analysis of observational studies. Anaesthesia,75(10), 1340-1349.Thomas PUEYO a publié sur "Medium" le 12 mars 2020 un article vu 26 millions de fois. Avec un modèle simple, il démontre qu’une catastrophe est imminente. Il appelait mi-mars les chefs d'État et les chefs d’entreprise à agir très rapidement pour limiter la contagion. La croissance exponentielle du nombre de malades menaçait gravement le monde entier. Les équations de son modèle étaient classiques, guère discutables, et disponibles dans un tableau en ligne. Nous avons utilisé ses idées de base et les plus simples de ses équations, mais pas repris son modèle d’épidémie, qui ne s’applique plus aujourd’hui, nous semble-t-il. T. Pueyo est ingénieur, son article qu’il est seul à signer n’est pas publié dans une revue scientifique.
https://medium.com/tomas-pueyo/coronavirus-agissez-aujourdhui-2bd1dc7838f6L’article de Salje et al. décrit l’état de l’épidémie en France lors de la première vague, et propose un taux de létalité des personnes infectées de 0,5% que nous avons retenu dans nos calculs (avec la correction du 26 juin 2020, publiée sur le site de Science).
Salje, H., Kiem, C. T., Lefrancq, N., Courtejoie, N., Bosetti, P., Paireau, J., ... & Le Strat, Y. (2020). Estimating the burden of SARS-CoV-2 in France. Science.Levin et al. montrent dans leur méta-analyse que le taux de létalité dépend très fortement de l'âge des patients, il sera donc différent dans des populations âgées (européen par ex.) et des populations jeunes (africains par exemple). C’est pourquoi le Calculateur interactif que nous proposons permet de changer tous les paramètres, notamment le taux de létalité.
Levin, A. T., Hanage, W. P., Owusu-Boaitey, N., Cochran, K. B., Walsh, S. P., & Meyerowitz-Katz, G. (2020). Assessing the Age Specificity of Infection Fatality Rates for COVID-19: Systematic Review. Meta-Analysis, and Public Policy Implications. medRxiv, 2020(2023.20160895).La revue online Coronavirus Fact-Checking Taskforce (https://zici.fr/49) discute de la durée de contagiosité dans le paragraphe "Infectious period: what is its duration?". Elle est, par définition, le nombre de jours où la contagiosité est supérieure à 50% de son maximum. Ainsi définie, elle dure neuf jours. Parmi les études permettant d’avancer ce chiffre, celle de Wölfel et al. montre que l’ARN viral des prélèvements nasopharyngés ne peut plus infecter des cellules en cultures après 8 jours.
Wölfel, R., Corman, V. M., Guggemos, W., Seilmaier, M., Zange, S., Müller, M. A., ... & Hoelscher, M. (2020). Virological assessment of hospitalized patients with COVID-2019. Wölfel Nature, 581(7809), 465-469.Dans la commune italienne de Vo’ (3400 habitants), presque toute la population a été testée par PCR à deux reprises, fin février et début mars 2020, pour connaître le portage du coronavirus. 42,5% des personnes infectées par le virus étaient porteurs asymptomatiques.
Lavezzo, E., Franchin, E., Ciavarella, C., Cuomo-Dannenburg, G., Barzon, L., Del Vecchio, C., ... & Abate, D. (2020). Suppression of a SARS-CoV-2 outbreak in the Italian municipality of Vo’. Nature, 584(7821), 425-429.En Angleterre, les résultats d’une vaste enquête faite en juin 2020 sur 36 000 personnes non hospitalisées montrent que 115 avaient un test PCR positif le jour du prélèvement, et que 88 personnes testées positives étaient asymptomatiques ce jour-là, soit 76,5%. Si l’on s’intéresse précisément aux symptômes spécifiques de la Covid-19, ce pourcentage monte à 86% le jour du test.
Petersen, I., & Phillips, A. (2020). Three Quarters of People with SARS-CoV-2 Infection are Asymptomatic: Analysis of English Household Survey Data. Clinical Epidemiology, 12, 1039.